Les transformistes II

2ème partie


Le succès mondial de Frégoli suscita de nombreuses vocations. Certains transformistes eurent l’outrecuidance de s’affubler d’un pseudonyme par lequel il était évident qu’ils voulaient créer la confusion : Frégo (ou Frégo Dela-fiore) était paraît-il excellent dans son spectacle intitulé : "Une grève aux Folies Bergère". Il y eut Fredioni au théâtre forain Grandsart-Courtois ainsi qu’un Frégolin dans la troupe de Bénévol.

Le signataire de ces lignes, alors adolescent, a pu applaudir au début des années 40, le transformiste Polian. Celui-ci avait pris sa retraite à la fondation Dranem à Ris Orangis. D’après le réglement il ne devait plus se produire en scène, mais comme il présentait gratuitement de nombreux spectacles pour distraire les pensionnaires de l’établissement, il avait obtenu une dérogation l’autorisant à partir en tournée durant une partie de l’année. Nous pouvons vous affirmer qu’il y trouvait une nouvelle jeunesse, assurant seul la totalité du spectacle. En première partie il présentait des numéros variés (magicien chinois, cow-boy tireur à la carabine, Charlot casseur d’assiettes, jongleur, chanteur, etc.) changeant chaque fois de costume mais sans transformation-express. En deuxième partie, après un ou deux numéros (dont l’homme insoulevable) il jouait seul, pour finir, une pièce de théâtre où il interprétait tous les rôles avec changements rapides (il annonçait dans sa publicité que ses transformations s’effectuaient en deux secondes, montre en main). Très sportif, il faisait autrefois une tournée publicitaire, dans les villes où il se produisait, ceci sur des échasses en distribuant des prospectus aux gens qui étaient aux fenêtres de leurs immeubles. En 1910 sa publicité affirmait que, au cours d’un numéro d’athlétisme, il soulèverait ensemble deux pianos et le pianiste.

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Martonn

Vers la fin des années 50, nous applaudissions un autre grand transformiste, Martonn, au cirque Rancy à Lyon. Son numéro terminait le spectacle. Il effectuait en piste, donc complètement entouré du public, 22 transformations à vue. Il faisait son numéro en chantant.

A cette époque le play back n’existait pas et comme il perdait progressivement sa voix, on l’entendait à peine. Voulant prendre sa retraite, il nous proposa plus tard de nous vendre son numéro. Il ne trouva pas d’acquéreur car plus de deux heures étaient nécessaires pour son habillage. Tous ses costumes se superposaient au départ et l’attente de son passage était, lors des grosses chaleurs, un véritable calvaire. On recherchait à l’époque des numéros pratiques, sans grande préparation et permettant des "doublages" rapides d’un établissement à un autre.

Le marché du travail du spectacle évoluait dans ce sens. Il n’eut donc pas de successeur avec le numéro que nous avons connu. Lorsqu’il nous reçut chez lui à Paris, il nous montra les photos du numéro qu’il avait présenté en Allemagne et en Autriche au music-hall avant la dernière guerre et qu’il avait du abandonner en raison de l’importance du matériel (les établissements pouvant l’accueillir se faisant de plus en plus rares). Il arrivait au volant d’une véritable automobile, costumé en chauffeur. Il garait la voiture perpendiculairement à la scène, l’arrière du véhicule vers le public. La voiture éclatait, se transformant en grand éventail avec au centre un escalier par lequel Martonn descendait, transformé en femme. Il changeait plusieurs fois de costumes en chantant (au fur et à mesure les costumes étaient "aspirés" par son épouse depuis l’arrière de l’éventail par une fente dans celui-ci). A la fin il remontait l’escalier qui disparaissait ainsi que le décor d’éventail. Il quittait la scène au volant de la voiture, à nouveau costumé en chauffeur. Martonn nous disait avoir abandonné sa voiture truquée dans le magasin d’accessoires d’un music-hall allemand.

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Marilyn Lee

La technique des changements de costumes à vue, sans se dissimuler, fut reprise par Marylin Lee qui débutait en cosmonaute et terminait très légèrement vêtue, dans le style Folies-Bergères. Elle fit avec ce numéro, inspiré par celui de Martonn, une belle carrière internationale.

Martonn alla s’installer dans une très agréable maison de retraite en province où il termina ses jours. Il avait préalablement fabriqué, avec son épouse, un numéro beaucoup plus modeste pour une artiste de Lyon nommée Sylvie Lamar. Des masques étaient ajoutés aux costumes pour faire vivre des personnages parisiens : vendeur de journaux, concierge, prêtre, grenouille de bénitier, midinette, prostituée, clochard, noble en habit et danseuse de music-hall. Une bande-son accompagnait le numéro qui plaisait beaucoup en raison de son originalité.

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Sylvie Lamar


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Arturo Brachetti

L’événement dans le domaine du transformisme aura été l’arrivée d’Arturo Brachetti. Jeune séminariste italien il eut la chance de rencontrer un prêtre féru d’illusionnisme, Don Mantelli, qui l’initia aux arts mystérieux. Passionné par le théâtre Arturo eut l’idée d’incarner un personnage différent pour chaque tour (trois personnages au départ à 15 ans). A 18 ans il présente six personnages et gagne un concours dans un congrès magique. Nouveau miracle, Gérard Majax est dans la salle et il le fait engager au Paradis Latin à Paris. C’est dans ce cabaret, sous la direction de Jean-Marie Rivière que Brachetti prend le départ pour une fabuleuse carrière.

Il part en Allemagne pour un spectacle poétique, pour Londres où il se produit devant la famille royale. Il débute au cinéma en vedette de "Clémentine Tango" puis revient à la comédie au Théâtre National Italien (il aura Ugo Tognazzi comme partenaire). Ce sera enfin la comédie musicale "Fregoli" où il interprète le rôle titre, puis à nouveau le théâtre dans "Le songe d’une nuit d’été".

C’est Gilbert Rozon (le producteur canadien qui décida Charles Trénet à quitter sa retraite pour remonter sur scène) qui investit une fortune pour réaliser le show Brachetti qui démarre à Paris au théâtre Marigny le 20 Janvier 2000 (pour ceux qui contestent le hasard rappelons que Frégoli avait débuté à Paris le 20 Janvier 1900). Comme toujours face à un "magicien" la presse française fait la moue et s’apprête à tartiner quelques lignes désabusées. Mais chaque spectateur en amène dix, les guichets de location sont pris d’assaut et, dans la foulée, le spectacle remporte le "Molière" du meilleur One Man Show. C’est le départ d’une tournée mondiale.

A part dans les pays de l’est (on connaît, entre autres, les extraordinaires Soudartchikov) la pratique du transformisme reste rare et, pour l’instant, assez protégée. Quelques numéros d’illusion récents commencent à l’utiliser. Bientôt un changement rapide de vêtement ne sera plus une surprise. Comme pour Brachetti (après Frégoli, Polian, Martonn, etc.) restera l’essentiel, le talent.

 
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