Duel avec la Mort


De Maurice SALTANO

Louis Ferdinand Céline avait déclaré à Pierre Dumayet au cours d'une interview télévisée : "...La grande inspiratrice, c'est la mort. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n'avez rien... Il faut payer... Je serai content quand je mourrai..." Les magiciens, qui matérialisent fugitivement ce que les hommes ont au plus profond de leur inconscient, n'ont pas échappé à la fascination provoquée par l'irréversibilité du trépas. Les artistes sont narcissiques et les meilleurs attisent généralement leur talent à la flamme de leur égotisme. Parmi les illusionnistes, certains ont trouvé, dans la pratique de leur art, un antidote à leur complexe d'infériorité. Démiurges de pacotille, quelques-uns sont allé trop loin, grisés par leurs pseudo-miracles, affrontant avec panache la camarde en des combats truqués. Parfois le public en eut vraiment "pour son argent" et le magicien vaincu perdit son masque avec son existence, inscrivant son nom au martyrologe des "trompe-la-mort". La plupart des spécialistes de l'évasion prirent des risques. Bien sûr, ils trichaient dans ces combats inégaux, à répétition, utilisant leurs secrets pour esquiver le pire, comme dans une passe de tauromachie. Houdini paya le prix de ses provocations. Non par une mort glorieuse en scène, comme a voulu le faire croire le film qui lui fut consacré, mais par une longue agonie sur un lit d'hôpital, en d'interminables souffrances, suite à un coup de poing reçu sur l'estomac dans des conditions restées obscures.

Quoiqu'en disent ses détracteurs, Houdini avait réellement présenté des numéros à sensation utilisant ses capacités athlétiques pour se faire jeter dans les eaux d'un fleuve, ligoté ou cadenassé dans une caisse. Il s'échappait de la camisole de force (destinée, rappelons-le, à maîtriser les fous furieux dans les hôpitaux), suspendu par les pieds au vingtième étage d'un gratte-ciel ou bien encore d'un coffre-fort où l'asphyxie le guettait. Il est indéniable que d'autres magiciens ont risqué l'accident en présentant des exercices similaires, mais Houdini savait utiliser mieux que quiconque ce qu'on nomme aujourd'hui "les médias", faisant entrer son nom dans la légende.

La séduction morbide exercée sur les foules par le danger poussé à l'extrême se trouvait illustrée sur les affiches du français Steens où on le voyait marcher au côté d'un squelette souriant, drapé dans un suaire, et lui donnant le bras. Sous son nom, on lisait : "l'homme qui s'amuse avec la mort". Cette dernière était toujours présente en filigrane dans ses exhibitions. Il termina son existence à 58 ans dans son village natal, en Côte d'Or. Il rejoignit, dans le petit cimetière, sa mère qu'il adorait comme Houdini chérissait la sienne. Cet intense amour filial apporte peut-être au psychanalyste une clef pour passer dans le subconscient de ces êtres hors du commun.

Jean Régil ne cultive pas à outrance le sensationnel. En artiste complet, il est capable de faire un tour sans aucun accessoire ou inversement d'envahir les scènes par ses grandes illusions. Il a su quelquefois prendre des risques, enchaîné et jeté à l'eau, ou suspendu sous un hélicoptère.

L'anglais Alan Alan serait, à notre connaissance, le premier à avoir imaginé d'enflammer la corde par laquelle il était maintenu à grande hauteur, créant une tension anxieuse sur le public. Cette idée fut reprise entre autres par David Copperfield et par l'allemand Hans Moretti. Ce dernier est spécialiste de l'évasion, sous hélicoptère ou dans les flammes d'un bûcher moyenâgeux, quand il n'affronte pas une des "machines à tuer" de sa conception, actionnée par des sabliers qu'il doit battre de vitesse.

Outre les magiciens, parmi les audacieux qui jouèrent leur existence à la "grande roulette", certains réussirent des exploits qu'il convient de ne pas tenter renouveler. Charles Godefroy n'a pas réussi à porter son nom à la postérité en passant sous l'Arc de Triomphe à Paris, le 7 Août 1919, avec un avion Nieuport. La marge de sécurité était de 1m 80 à l'extrémité de chaque aile. Il y eut aux Folies Bergère l'ex-chanteur Gadbin "l'écrasé vivant" qui, sans trucage, se faisait passer sur le corps par une automobile où avaient pris place six spectateurs. Au bord des rapides précédant les chutes de Niagara on peut visiter le musée des "dare-devils" exposant les tonneaux et réceptacles à l'intérieur desquels des illuminés tinrent le pari de sauter dans les chutes (certains en sortirent vivants).

Parmi les fakirs, Yvon Yva subit un éclatement des vaisseaux pulmonaires, sur sa planche à clous à Marseille, sous les 400kg que représentaient les cinq personnes qui l'écrasaient littéralement. Les fous du "mortel banco" firent preuve d'une imagination débordante pour narguer la "Faucheuse". Le défi original de la pendaison fut adopté aux USA par Peters qui se jetait dans le vide la corde au cou. Le café-concert des "Décadents" à Paris connut le succès grâce au "pendu". C'est ainsi que l'appelait le public, ignorant son nom (il s'appelait Simon Aiquier). Au bout de sa corde, il simulait la mort à la perfection, arrêtant les mouvements de son cœur (ce que constataient les médecins). Retraité à Solliès-Pont, il fut emporté par une mauvaise grippe. Le fameux numéro du fusillé ("L'homme invulnérable") causa la fin brutale de plusieurs illusionnistes, le plus célèbre étant Chun-Ling Soo.

Le fusillé

Enfin, on se souvient du numéro du "tracé spirite" dont Bénévol tirait grand effet, dansant au milieu des œufs et bougies allumées, les yeux obstrués par étiquettes, tampons de coton et bandeau. Jean-Charles Laplaine donna du piment à l'exercice en l'exécutant sur une corniche à 56 mètres du sol.

Parmi les illusionnistes contemporains aux USA, certains spécialistes de l'évasion prennent de gros risques, le temps d'une émission de télé. Dean Gunarson s'est évadé de la camisole au-dessus du vide vertigineux d'un barrage, suspendu "en pointe de pieds" à un trapèze. Quant à Robert Gallup, menotté, enchaîné dans un sac postal cadenassé, puis enfermé dans une cage, il se fit jeter dans le vide d'un avion (à grande hauteur). Au cours de sa chute libre, il s'évada de l'ensemble, se munit d'un parachute ventral qui lui permit d'atterrir sain et sauf. Un grand moment de suspense.

Jean Régil

Alan Alan

Hans Moretti

The Great Peters

Robert Gallup