La malédiction du tour "Catching bullet"



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Tony Binarelli

Chung Ling Soo fut certainement la plus célèbre victime de ce tour "maudit" qu’il avait baptisé "Defying the Bullets" (En défiant les balles). Il trouva la mort en le présentant au Wood Green Empire Theater de Londres le 23 Mars 1918. La police hésita entre les thèses du suicide, du crime ou de l’accident, et conclut pour cette dernière possibilité. En 1785, Philip Astley, maître écuyer anglais, magicien, considéré comme le créateur du cirque moderne, publia un livre (d’après Milbourne Christopher, ouvrage piraté sur celui de Pinetti) sous le titre : "Natural Magic or Physical Amusements Revealed" (Magie naturelle ou amusements physiques révélés). Il y affirmait qu’en 1762 il avait créé un certain "Gun Trick" (Tour du fusil) que plusieurs magiciens avaient repris. Mais la paternité de la création de ce tour était remise en cause par deux autres ouvrages parus un an avant : "The Conjuror Unmasked" de Thomas Danton et "La Magie Blanche dévoilée" d’Henri Decremps. On peut y lire que le révérend Thomas Beard avait expliqué ce truc dans un livre de 1631 qu’il avait intitulé étrangement "Threats of God’s Judgements" (Les menaces du jugement de Dieu). Il est, on le voit, difficile d’attribuer à un seul magicien l’idée originale de ce tour, d’autant plus que le défi à la mort a toujours été un des thèmes favoris des enchanteurs. Les siddhis de l’ancienne mythologie indienne recherchaient déja cette invulnérabilité à laquelle aspirent de nos jours les adeptes de la méditation transcendentale.

"Defying the bullets" est généralement connu dans le monde magique anglo-saxon sous le nom de "Bullet Catch" (balle attrapée). Dans certaines versions(comme celle de Chun Ling Soo) la balle, tirée par une personne de l’assistance, est interceptée dans la bouche et crachée sur une assiette. Dans d’autres cas, l’artiste prétend rattraper la balle entre les dents. Une très grande quantité de magiciens ont présenté ce tour. Même des femmes, comme Adélaï de Hermann, ainsi qu’Annie Vernone qui, en 1857, apparaissait dans les publicités du Théâtre Royal à Hull.

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Bialla

Maurice Fogel était un adroit et efficace artiste anglais spécialisé dans le mentalisme. II avait commencé sa carrière comme assistant de Rameses (numéro à grand spectacle axé sur le thème de l’Egypte). Fogel avait une routine formidable qu’il présenta entre 1941 et 1960 au cours de laquelle il proposait au spectateur de tirer sur une assiette ou dans le cœur de l’artiste. Si l’assiette était choisie, elle se brisait. Dans l’autre cas, Fogel récupérait la balle dans une assiette tenue entre ses mains. Il est arrivé, une fois, que Fogel soit blessé au front par un morceau de la bourre parti du fusil et il fallut une intervention chirurgicale pour l’extraire de son crâne. Il en garda la cicatrice.

Pendant quelques temps, durant la seconde guerre mondiale, l’anglais Peter Warlock présenta ce tour au théâtre aux armées. Mais il ne persista pas et, avec sagesse, reprit un répertoire moins dangereux.

Harry Kellar, avec l’intention paternelle de conseiller Harry Houdini sur ce sujet, lui écrivit : « Maintenant mon cher garçon, voici un conseil qui vient du cœur : n’essaie pas le tour "Bullet Catching". Il y a toujours le risque qu’un chien veuille t’avoir. Et nous ne pouvons nous permettre de perdre Houdini. Harry, écoute ton vieil ami Kellar qui t’aime comme son propre fils, et NE LE FAIS PAS... »

Dans le langage de Kellar, un chien était un ennemi ou un petit malin voulant saboter le numéro. Houdini, qui savait pourtant prendre des risques, semble avoir entendu les conseils de Kellar et n’a jamais présenté le tour.

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Klingsor

On sait que Robert-Houdin utilisa ce thème lors de sa mission en Algérie, pour impressionner les autochtones. Dans ses "Confidences" il imagine qu’un magicien nommé Torrini l’adopte comme élève car il ressemble à son fils qu’il a tué par accident au cours de ce tour de "balle rattrapée".

Parmi les meilleurs présentateurs du "tour maudit" on connut l’australien Jean Hugard qui utilisait un trucage très élaboré. Milbourne Christopher présenta la performance pour la chaîne de télé NBC (utilisant un champion de tir avec son arme et ses munitions personnelles), puis à la télé de Londres, abandonnant ensuite ce numéro.

Le martyrologe des magiciens qui présentèrent cette démonstration d’invulnérabilité constitue un catalogue que nous ne voulons pas infliger à nos lecteurs. Citons toutefois le Docteur Epstein qui, au cirque Napoléon à Paris en 1869 eut la poitrine transpercée par la baguette de chargement qu’on avait oublié de retirer du canon du fusil. Celle-ci fut déviée, évitant le cœur de l’artiste, grâce à une des grosses médailles dont il avait la fierté d’orner son plastron, et Epstein eut la vie sauve.

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Harold

Inversement, l’historien de la magie Will Dexter cite le cas de l’illusionniste Coullew of Loraine qui, ironie du sort, n’eut jamais d’accident en présentant ce tour mais fut tué par un serviteur en colère qui le frappa avec la crosse du pistolet ! Paul Daniels, le fameux illusionniste anglais, a repris la routine de Chung Ling Soo pour son émission de télévision. Il avait retrouvé Jack Grossman, un des deux hommes qui avaient tiré sur Soo ce sinistre soir de 1918. Bien que ce ne soit pas son arme qui ait porté le coup fatal, on peut se demander ce qui est venu à l’esprit de J. Grossman quand il tira sur Paul Daniels. Cette reconstitution eut un gros impact publicitaire. William Clément dit Rex avait eu, avant la dernière guerre, l’idée d’un scénario original, prétendant rattraper les balles en fin de course dans une cible parabolique. Il vendit simultanément ce tour à Harold et au signataire de ces lignes, dans les années 50, provoquant un début de querelle qui, heureusement, se termina par une fidèle amitié. Il semble que ce soit Bialla, un illusionniste allemand, qui ait modernisé la présentation de ce tour en plaçant une plaque transparente entre le tireur et lui. Dans cette routine, la plaque semble transpercée par la balle, ce qui ajoute à l’illusion. Moretti lui aurait acheté le matériel.

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Hans Moretti

Nous avons connu une présentation similaire avec de grands noms de l’illusionnisme mondial. Tony Binarelli, Pen and Teller, Klingsor, etc. Une routine très spéciale et sérieusement risquée fut adoptée par Ted Annemann (qui se suicida par la suite). Rien n’était truqué, ni les fusils ni les munitions et les tireurs étaient des policiers ou des militaires. Une explication détaillée et illustrée du procédé, qu’il vaut mieux oublier en raison des risques qu’il présente, fut publiée par le journal "Genii" en Décembre 1942.

 
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