Le Bonneteau
La tricherie la plus ancienne que l'on connaisse aujourd'hui date de 1408, elle fut Le Bonneteau de Mélièsmise au jour par mon ami Thierry DEPAULIS.

Ce texte fort intéressant, qu'il trouva dans les lettres de rémission du Trésor des Chartes fut publié dans "The playing-Card" (vol.X, n°4, Mai 1982).
Les lettres de rémissions étaient des actes par lesquels le Roi de France ou un grand seigneur féodal faisait remise de sa peine à un condamné. Ces lettres étaient données à la suite d'une requête appelée supplication, émanant du coupable ou de ses parents. Apparue au début du XIV ème siècle, cette pratique, d'abord exceptionnelle, connut un grand développement à partir de 1340 et se prolongea jusqu'au milieu du XVIème siècle. Quelques dizaines de milliers de ces documents, soigneusement enregistrés par la chancellerie royale française, forment l'essentiel des "Registres du Trésor des Chartes" (série JJ) des Archives Nationales.

Voici donc l'essentiel de cette lettre, dont la cote aux Archives Nationales est JJ 162, n°361 (f° 264 R° et V°) :

[...] Charles VI par la grâce de Dieu Roy de France, savoir faisons à tous présens et à venir : nous avons receu humble supplication de Colin Charles, de Montdobleau en l'Eveschié de Chartres, povre jeune varlet non marié, aide de maçon, agié de XXIIII ans ou environ, contenant que, comme lui accompaignié de VI autres compaignons en allant esbatant par-dessus le Pont-Neuf à Paris, un an a ou environ, eust encontré deux marchands du pays de Bretaigne. A l'un desquels l'un des copaignons fist entendre qu'il avoit frans à cheval et gros tournois d'argent qu'il vouloit vendre et lui demanda s'il les vouloit acheter, disant qu'il les veneroit et qu'ilz alassent en la taverne Bonne, et il les monstreroit et donroit la pièce d'iceulx francs pour XVI solz parisis. Et se lesdit marchand se repartoit, il seroit quitte pour paier ; et telement il et ses compaignons ennorterent ledit marchand qu'il ala avec eulx et quant ilz furent en la taverne et orent bleu, tantost l'un desdits compaignons attaigny unes quantitées de papier pour jouer et firent ledit suppliant et ses compaignons jouer ledit marchant, lequel par la séduction d'iceulx joua à deviner quelle carte l'en toucheroit. Combien que, quant il jouoit pour néant, il gaignast pour ce que on lui avoit monstré à quel saing celle qu'il devoit prendre estoit pardehors signée. Maiz ilz ne lui avoient pas monstré qu'il en y avoit deux, signées à un saing, et à un seul cop par enviz et renviz à chacune carte tirée comme ordonné l'avoient, et d'un chacun consentement perdit ledit marchant vint-deux éscuz pour ce qu'il ne print pas celle que monstré lui avoit esté à l'endroit signée de painture à façon de roses, maiz la pareille au doz signée comme dit est. Pour lequel fait ledit Colin et autre de sa compaignie furent tantost aprés prinz et emprisonnez en nostre Chastelet de Paris. Et pour ce qu'il se trouve que c'estoit fait par manière de abusements et déception, ledit suppliant fu trés durement questionnez et, enfin sa confession oye, fu condemné à estre miz au pillory et y fu miz, et banni de nostre Rayaume à tousjours, et n'y oseroit jamais converser sanz nostre grace [...].

Voici l'interprétation que j'ai pu faire de ce texte :

Colin Charles, accompagné de six de ses amis, allèrent se distraire sur le Pont-Neuf. Ils rencontrèrent deux marchands Bretons, dont l'un leur fit comprendre qu'il avait de la monnaie d'or (Franc à cheval) et de la monnaie d'argent (Gros tournois), et qu'il désirait la changer. Colin Charles devant la naïveté du marchand, lui proposa d'aller à la taverne Bonne, là il pourra voir, et le cas échéant les lui acheter au prix fixé, 16 sols parisis. Le marchand accepta et les suivit. Quand ils furent à la taverne, et après avoir passablement bu, un des amis de Colin Charles prit un jeu de cartes, et fit jouer le marchand. BonneteursA la fois émerveillé et euphorique car le jeu de cartes était tout nouveau pour l'époque, il joua à deviner quelle carte on a touchée. Comme il jouait pour rien, il gagnait chaque fois. C'était d'autant plus facile, car la carte était marquée au dos de manière qu'il soit obligé de la reconnaître (la face de cette carte est illustrée par des roses). Ce que le marchand ignorait, c'est qu'il y en avait une seconde marquée, identique à la première. On proposa au marchand de jouer pour de l'argent, il tira une carte marquée, ce n'était pas la bonne, il perdit 22 écus. Colin Charles et ses amis furent arrêtés emprisonnés au Châtelet, torturés pour avouer, et condamnés au pilori. Cette tricherie fut décrite et expliquée en 1785 dans le livre de Decremps "Testament de Jérome Sharp" p. 147, sous le titre"Avis intéressant".

(...) Je ne peux m'empêcher, en finissant ce chapitre, de dévoiler ici un tour de cartes dont la connaissance pourra être utile à quelques uns de mes lecteurs, en les empêchant de tomber dans un piège, auquel de très honnêtes gens se laissent quelquefois prendre par des aigrefins ; on voit souvent dans des foires de Province, dans le parc de Saint Cloud et dans les promenades publiques autour de Paris, les jours où il y a grande cohue, des gens qui, au mépris des Ordonnances, proposent aux passans des jeux de hasard et d'autres jeux encore plus illégitimes : ces jeux, où le profit va toujours du côté où est la mauvaise foi, paraissent au premier abord très avantageux à celui qui les accepte, mais ils finissent par lui faire perdre une somme plus ou moins grande, selon le degré de crédulité et d'obstination dont il est susceptible; en voici un, entr'autres, que je n'ai vu expliqué dans aucun livre (...).

Il appelle ce jeu "le jeu de Banque", je vous en livre ma version, sans doute, celle de Colin Charles. Tenez le jeu en main droite, dans la position du glissage, et tournez la, paume en haut, de façon à montrer l'as de carreau qui est par exemple dessous. Vous retourner votre main droite paume vers le bas, face à la table et tirez l'as de carreau du dessous du jeu, que vous posez en apparence face en bas au point A, sur la table. Vous distribuez de la même façon, aux points B, C, D, trois autres cartes sans montrer leurs faces.

A
B
C
D

Puis avec l'index de chaque main, sans pour autant poser le jeu, vous permutez rapidement les cartes. Avec l'index de la main droite, l'as de carreau du point A au point B, du point B au point C, et en même temps avec l'index de la main gauche vous faites glisser une autre carte du point B au point C, et du point C au point A, etc. Vous pariez, alors que personne ne pourra trouver l'as de carreau car, après toutes ces permutations, on est censé l'avoir perdu. Le spectateur, lui, qui l'a suivi des yeux, accepte le pari, croyant trouver cette carte au point C. Mais quelle est sa surprise, quand il trouve à sa place une autre carte, et l'as de carreau au point A, ou au point B. Dès lors, croyant qu'il a fait une erreur, il accepte un nouveau pari, en se proposant d'être plus attentif, mais il perd encore et continue de perdre à chaque fois.

Le spectateur croit en réalité qu'il avait vu poser l'as de carreau au point A, en fait c'est une autre carte qui a été déposée à sa place. Dès que vous montrez l'as de carreau sous le jeu, vous faites semblant de le prendre avec le doigt de la main gauche, mais en réalité vous le poussez et le laissez sous le jeu, et prenez la carte suivante. Cet as de carreau, que l'on croit au point A, a pu être posé au point B, C, ou D. Après quoi, vous n'avez plus qu'à permuter les cartes rapidement, pour être censé faire perdre de vue l'as de carreau.

Il est probable qu'au fil des siècles, ce jeu de Banque a peu à peu évolué pour devenir notre traditionnel jeu de Bonneteau.

Le Bonneteau classique repose essentiellement sur une seule technique, ce qui explique pourquoi tant de bonneteurs finissent par y acquérir une aussi grande maitrise. Dans leur argot, ils nomment ce jeu, le jeu des trois brèmes. Le Bonneteur que l'on nomme le teneur est généralement accompagné par toute une équipe de compères qui se compose de barons ou contres. Leur rôle est de lever les poires, de savoir si elles possèdent de l'argent et de les pousser à jouer. Ils sont en même temps les gardes du corps du teneur ainsi que ses commanditaires. Les fonds qu'ils possèdent sont mis à la disposition du teneur, ils se nomment en terme de métier les roberts. Le teneur n'exibe aux yeux des poires, que les billets de 100, 200, 500 francs, qui seront l'appât indispensable des clients cupides. Les bénéfices réalisés au jeu sont répartis entre les divers associés en parts proportionnelles à l'importance de leur rôle. Une part entière est dite un pied complet. Dans le cas où l'on doit engager en plus une figure, ou figurant, on alloue à ce dernier une part moins importante, que l'on nomme demi-pied ou bouquet. Il existe, par ses bandes organisées, deux manières d'exploiter le Bonneteau. Le travail en dur, qui se pratique en chemin de fer, et se compose toujours d'un teneur et de quatre barons, ou tout au moins trois barons et une figure. Ce nombre de cinq est le maximum d'une équipe, c'est le complet nécessaire pour travailler en première classe.

Joueurs de bonneteau

Le plus typique, celui en quarante qui se pratique sur la voie publique, se compose toujours d'une équipe d'un teneur et de trois barons, c'est celui-là qui nous intéresse. Le jeu se joue avec trois cartes seulement, que l'on jette sur le classique parapluie ouvert ou sur une table. Pour cela on se sert généralement d'une carte noire (l'As de pique) et de deux rouges (le neuf et le dix de coeur). Pour plus de facilité et afin de pouvoir prendre ses trois cartes plus aisément, elles sont un peu "tuilées", c'est-à-dire légèrement pliées dans le sens de leur longueur. Elles sont naturellement posées faces en dessous, l'une à côté de l'autre. Le teneur les retourne, pour bien montrer qu'il y a bien deux cartes rouges et une carte noire, cette dernière est généralement placée au milieu. A nouveau les cartes sont retournées faces en dessous, puis sa main droite saisit une carte rouge par les deux petits côtés, entre le pouce près du coin droit, et la première phalange du majeur sur la tranche opposée. La main se retourne pour bien montrer une carte rouge, puis reprend sa position paume vers le bas. La main gauche fait exactement la même chose avec la seconde carte rouge. Enfin la main droite, sans lâcher celle qu'elle tient déjà, vient saisir la noire de la même façon, par les petits côtés, mais cette fois-ci, par l'extrémité de l'annulaire et non pas par celle du médius, qui s'appuie sur la tranche opposée à celle du pouce. Il y a donc deux cartes dans la main droite, avec un écartement d'un centimètre environ entre-elles, toutefois elles se touchent pratiquement au point où elles s'appuient contre le pouce, et l'index lui, appuie légèrement sur le tarot de la carte rouge pour la montrer. La main se retourne encore une fois pour montrer que la carte inférieure est bien la noire (elle recouvre et masque la rouge), puis la main reprend sa position, paume vers le bas, face à la table.

Bonneteurs au parapluieOn fait alors un premier jet des trois cartes successivement, en expliquant la règle du jeu. On recommande de ne pas perdre de vue la noire. Pour cela, la main droite desserre l'annulaire ce qui permet à la noire de tomber à plat, puis la main gauche lâche à son tour la sienne à droite ou à gauche de la première, et enfin la main droite relâche le médius pour laisser tomber à son tour la seconde rouge. Les mêmes mouvements sont répétés de la même manière plusieurs fois, afin d'empêcher de trouver la carte noire.

Ces transpositions sont assez simples et assez lentes ce qui permet de suivre aisément l'As de pique. Si l'on a conservé le regard fixé sur la première jetée (l'As de pique) on la suit aisément dans ses permutaions, et à la classique question du teneur : «Et maintenant où est ce qu'il est, l'As de pique ?» On donne la bonne réponse, comme on le constate en la retournant. Ces premiers essais, fait avec un Baron (compère allumeur, qui joue le rôle d'un badaud quelconque), tournent toujours à l'avantage de ce dernier, à la plus grande satisfaction du Bonnard, ou badaud authentique et future victime qui, lui aussi, arrive aux mêmes conclusions chaque fois que l'on recommence la partie. Aussi est-il persuadé que s'il prend part au jeu, il gagnera. Pour mieux exciter la ferveur des badauds, un nouveau compère remplace le Baron : celui-là, c'est le Saint-Jean, faux maladroit qui trouve le jeu trop difficile et qui hésite à chaque coup, pour finalement désigner la mauvaise carte. Le Bonnard, qui avait au contraire suivi et trouvé l'As de pique, continue de se persuader que s'il joue, il est sûr de gagner. Cette fois-ci il est engueillé (pris). Dès qu'il a accepté la partie, et au besoin le Saint-Jean le provoque en lui disant d'un air de mauvaise humeur, en réponse à une réflexion ou à un rire ironique après son troisième ou quatrième échec : «Je voudrais bien vous y voir !». Cette fois-ci, quelque chose va changer, le teneur ne lâche plus ses cartes "à la loyale" ou "à la bonne", mais de la manière suivante.

La main droite ne relâche pas l'annulaire comme elle l'avait fait auparavant, mais le majeur, de sorte que c'est la rouge qui est libérée à la place de la noire. Elle tombe sans heurter l'As de pique (la noire) qui la masquait (c'est cette technique que l'on nomme le bonnet) car la main exécute en même temps un balancement de la droite vers la gauche, puis un retour vers la droite pendant que la carte est lâchée. La rouge (que l'on croit être la noire) tombe donc un peu à gauche, comme la noire les autres fois. Il est évident que durant toutes ces permutations, on a exécuté cette même oscilliation, car il est important que les gestes soient rigoureusement identiques lors des deux différents jets. Le spectateur n'a pas pu se rendre compte du doigt qui se relâchait, à cause du temps très court qui s'est écoulé (la vitesse doit être modérée, sans précipitation) et surtout à cause de l'ensemble des mouvements qui détournent naturellement l'attention. C'est aussi pendant ce mouvement oscillatoire, que le majeur revient ensuite en position, alors que l'annulaire se retire de sorte que, sitôt le balancement arrêté, la carte restante (l'As de pique) se retrouve tenue par le majeur, exactement comme l'était la rouge auparavant lors du premier jet fait normalement. On a donc aucune raison de douter d'une quelconque différence entre le premier et le second jet.

La main gauche qui comme les autres fois se dirige vers la droite, lâche ensuite sa carte à droite de la première, et la main droite allant à son tour vers la gauche, la lâche aussi, à gauche des deux autres, la dernière étant la noire et non la rouge comme les fois précédentes. Dès lors, le Bonnard peut bien suivre attentivement les quelques permutations opérées, mais parti d'une idée fausse, il tombera faux, il a perdu, "il est bon".

Bonneteurs au parapluiePour ancrer encore plus dans l'esprit de la "poire" cette idée que l'As de pique est facile à suivre. Il corne légèrement cette carte "cornancher la brème" et montre ostensiblement cette carte cornée comme par hasard. Après les permutations d'usage et le boniment connu, le Bonnard l'a remarqué, il concentre toute son attention sur cette particularité et s'attache à ne pas la perdre de vue. Mais "il est victime", car pendant le temps très bref où le teneur a conservé ses trois cartes dans ses mains, son médius et son annulaire ont redressé le coin corné de l'As de pique, et corné la carte rouge à sa place, avant de la jeter. On corne et décorne aussi à deux mains, comme disent élogieusement ses compères, "ça c'est du travail". Mais ce travail rapporte bon, car comme ces Messieurs ne prennent comme pari que des billets de 500 ou au moins de 100 francs, et même en défalquant les pseudo-gains du Baron et les prétendus pertes du Saint-Jean, le trio a encaissé une très belle somme en fin de journée, si la police ne les a pas "faits".

Il y a aussi un autre compère à rémunérer, car souvent, pour mieux enfiévrer et décider le Bonnard, un troisième allumeur veut jouer et offre 50 francs d'enjeu, "tout ce qu'il a"; mais le teneur n'accepte pas moins d'un "fafe" (100 francs). Le compère se désespère "il n'a que 50 francs", et il demande en grâce qu'un spectateur se mette de moitié avec lui.

Enfin, pour éviter qu'un badaud trop informé puisse retourner l'As de pique, il est rare qu'on lui laisse ce soin, car la tendance des bonneteurs est de ne faire jouer le Bonnard qu'en association avec un compère. C'est celui-ci qui retourne par principe la mauvaise carte, bien qu'on ai pu laisser entrevoir l'emplacement de la bonne.

N'essayez donc pas de compter sur vos connaissances techniques pour échapper aux subterfuges de ces escarpes, vous iriez au devant des plus graves ennuis, car vous auriez devant vous, toute une équipe de "durs".

Contrairement à ce qu'a dit Remi-Ceillier, dans son Manuel pratique d'illusionnisme et de prestidigitation, il semblerait que le bonneteau soit assez ancien ; Robert-Houdin dans ses Tricheries des grecs (1861) est le premier qui y fait allusion sans pour autant lui donner un nom (p. 47 à 51).

(...) Il y a quelques années, on voyait aux abords du Jardin des plantes, sur la place de la Bastille ou dans tout autre endroit public où l'on rencontre le badaud parisien ; on voyait, dis-je un homme à genoux sur la dalle qu'il avait rappropriée et se livrant à la tromperie suivante : Il tenait en main trois cartes, à savoir : le sept de coeur, le Roi de pique et l'As de carreau. Les deux dernières de ces cartes étaient superposées dans la main droite, et l'autre se plaçait dans la main gauche, ainsi que l'indique la figure suivante (...).

L'ouvrage de Cavaillé, Les filouteries du jeu (1875), le désigne sous le nom de Birlibibi. La première mention donnant son nom de Bonneteau en France, est dans le chapitre XXIII du Monde ou l'on triche de Hogier Grison (1888).

La Louisiane dont la capitale est Bâton Rouge fût découverte et colonisée par les français depuis 1699 et baptisée de ce nom en l'honneur de Louis XIV. Elle fut cédée aux Etats-Unis par Bonaparte en 1803. L'influence de cette colonisation et qui sait la pratique du jeu de Bonneteau comme celle du jeu de Pharaon qui était à la mode en France depuis le XVII° siècle, dût être la cause de leur apparition dans cette partie du monde. Ce jeu qui fut introduit tout d'abord à la Nouvelle-Orléans se développa sur les Steamers-Boat qui voyageaient sur le Mississipi et l'Ohio, pour se répandre, par la suite aux Etats Unis sous son nom actuel de Three Card Monte.

L'un des héros de cette période fut George Devol qui écrivit le livre Forty years a Gambler on the Mississippi (1892). Fils d'un charpentier des chantiers navals, George Devol s'était engagé en 1839, âgé de 10 ans sur l'un des bateaux à aubes du Mississippi (récit raconté dans les histoires de Mark Twain). Dans son livre, George Devol, au chapitre The monte king, fait référence à un homme d'une grande dextérité au Bonneteau, nommé Rollins qu'il rencontra sur un bateau de la compagnie Vicksburg et avec lequel il s'associa comme baron. Sa première partie avec un riche planteur lui rapporta 4100 $ plus 4 esclaves qu'ils vendirent 4400 $. Plus loin, dans son livre, plusieurs autres chapîtres sont consacrés également à un autre spécialiste du Bonneteau, Canada Bill Jones avec qui, il fut associé pendant plusieurs années.

 


Les véritables bonneteurs, ceux qui vivent luxueusement de la profession, n'opèrent jamais aux abords des champs de courses ou dans Paris. Ils travaillent toujours dans le dur, en chemin de fer et naturellement en première classe. Ils choisissent principalement les trains à grande vitesse ramenant les touristes étrangers en France. Les rapides de Cologne, de Bâle, de Vienne, de Vintimille, de Madrid à Paris sont leurs lieux de prédilection. Ils cherchent également les trains spéciaux de banlieue, tels que ceux de Paris à Versailles, de Paris à Trouville ou à Ostende, en un mot, tous les trains où le choix des voyageurs leur offre le maximum de chances de rencontrer des têtes pouvant posséder de l'argent liquide.

Le travail en dur, qui se pratique en chemin de fer, se compose toujours essentiellement, comme nous l'avons déjà dit, d'un teneur et de quatre barons, ou tout au moins trois barons et une figure. LocomotiveCelui des barons qui est le leveur se promène sur le quai d'embarquement et vise une tête au flanc. S'il la juge faisable, il monte dans le même compartiment qu'elle et aussitôt le reste de l'équipe monte à son tour, moins toutefois le teneur qui attend toujours la dernière minute pour embarquer. Quand il arrive, il s'excuse du dérangement qu'il vient d'occasionner à une aussi courtoise compagnie. Les barons sont installés, lisant des journaux pour se donner une contenance, ils semblent nullement se connaître. Seul le leveur essaie d'entamer une conversation avec le voyageur visé, la poire. Il cherche adroitement à connaître son caractère et surtout sa situation financière, en se faisant prendre pour un charmant compagnon de voyage. Un bon leveur hors mis ses aspects d'homme du monde, doit être avant tout, un bon physionomiste doublé d'un parfait diplomate.

Avec les indications qui ont été recueillies auprès de la poire, on sera à quel gare il doit descendre et toutes les précautions seront prises en conséquence. Aussitôt que le train roule à grande vitesse, le teneur qui paraît être un inconnu pour tout le reste du compartiment, sort de sa poche un jeu de cartes d'où il en extrait les trois fameuses cartes, deux rouges plus une noire. Puis, s'adressant à tous les passagers de ce compartiment, il leur propose de les distraire tout au long du voyage, avec un jeu nouveau, franc et loyal. C'est une manière élégante de déguiser le bonneteau, dont le nom trop malheureusement connu, pourrait faire fuir le pante. Le teneur, qui continue toujours de parler, étale sur un journal disposé sur ses genoux, les trois cartes nécessaires. Sans s'adresser à quelqu'un en particulier, il exhibe son portefeuille duquel on peut entrevoir des billets qui représentent une petite fortune. Il annonce qu'il est à la disposition de ceux de ces messieurs qui voudraient jouer contre lui et qu'ils gagneront s'ils indiquent la position de la carte noire et perdront si en revanche ils indiquent une des cartes rouges. Les barons restent impassibles, semblant dédaigner cet intrus qui les dérange et les trouble dans leur quiétude, puis peu à peu s'intéressent aux permutations que le teneur exécute continuellement et qu'il agrémente d'un discours plein d'humour.

En même temps le leveur tient toujours la poire sous le charme de son éloquence et ce n'est que d'un oeil indifférent qu'il suit les trois cartes du teneur. Il cherche surtout à percevoir l'effet que le jeu à sur la poire. Les barons de leur côté ont commencé à ponter et le teneur jette ses cartes provocant tantôt un gain tantôt une perte, d'une manière qui permet à la poire d'apercevoir leur couleur. Tout ceci n'a pour but que de persuader la poire qu'il est facile, avec un peu d'attention, de trouver où est la carte noire, la carte gagnante. Il est inutile de dire que c'est fait de tel façon que l'individu le plus myope est obligé de voir et de suivre la carte noire.

Au moment psychologique ; le leveur s'adresse à la poire en lui demandant s'il veut jouer de moitié avec lui, et sans attendre sa réponse, il retourne la carte rouge. Il manifeste d'abord sa surprise et s'adressant à la poire il dit : «Vous avez eu raison de ne pas jouer avec moi ; vous auriez perdu.» Dès ce moment la poire est engueillée, c'est alors que commence le véritable jeu de bonneteau. Le teneur jette aussitôt ses trois cartes, et dès qu'il a encaissé la mise du leveur, le leveur retourne de nouveau pour la seconde fois une autre carte rouge et perd naturellement seul sa mise. La poire qui a vu, bien entendu, chaque fois, la position exacte de la noire, se manifeste sur la maladresse de son compagnon de voyage, et lui assure que la carte noire était très visible et qu'à sa place, il l'aurait certainement retournée.

Alors que le leveur simule son étonnement naïf, le teneur s'adresse au leveur et lui dit : «Tenez Monsieur, je suis beau joueur, vous venez de perdre deux fois de suite, je vous offre la possibilité de récupérer vos pertes. Quitte ou double ?» et il envoie ses cartes pour la troisième fois. Le leveur simule l'embarras, semble perplexe, et essaie de percevoir dans le regard de la poire une indication sur la position de la carte noire. Le teneur qui de son côté semble suivre l'indécision de son joueur s'adresse alors et pour la première fois directement à la poire.

Il le prie très courtoisement de ne pas indiquer au leveur la position de la carte noire s'il la connaît. «C'est une affaire entre monsieur et moi ; les cartes sont là, et la noire y est ; c'est à Monsieur de la trouver. S'il la trouve, je lui remet les 200 francs; s'il se trompe, c'est lui qui me donnera les 200 francs. Allons, est-ce fait ?» Et de nouveau il interpelle le leveur. «Soit ! c'est fait !» lui répond immédiatement le leveur, et pour la troisième fois il retourne la carte rouge. C'est l'hilarité générale dans le compartiment devant la surprise béate du leveur. Presque toujours, et ironiquement, la poire l'interpelle sans lui ménager son opinion sur sa maladresse. Naturellement le leveur ne répond pas et s'excuse même encore une fois d'avoir eu tout à l'heure l'imprudence de proposer à la poire d'être de moitié. Le leveur qui joue parfaitement son rôle laisse entendre à la poire que ce n'est pas la perte de son argent qui le dérange mais plus le fait d'être aussi maladroit.

«Voici le moment, Monsieur, de vous refaire ; je vous paie 500 francs si vous trouvez la carte noire.» Le leveur alors vivement s'adresse à la poire et lui dit : «Tenez, Monsieur, j'ai plus confiance en vous qu'en moi-même; retournez la carte pour moi, d'ailleurs, je joue la moitié avec vous», et il met dans les mains de la poire la moitié de l'enjeu. La poire qui est engueillée, rajoute la différence des 500 francs et s'empresse de retourner une carte qu'elle croit être la noire. Comme cette fois-ci, le teneur n'a plus lâcher ses cartes "à la loyale" ou "à la bonne", alors elle retourne tout naturellement une rouge; le leveur qui éclate de rire à son tour s'empresse de lui réitérer les mêmes propos que lui avait tout à l'heure tenu la poire.

Lorsque la poire est tenace et entêtée, elle laissera tout son argent, car une fois allumée le teneur s'empressera de lui faire le quitte ou double fatidique. Dès ce moment la poire qui tient les enjeux seule, ne s'arrêtera que quand elle n'aura plus d'argent.

De temps en temps, ils sortent le grand jeu, c'est ce qu'ils appellent le coup de la fin ou de l'entrée en gare. Le teneur vient de lancer les trois cartes ; le leveur qui a parié saisit réellement la carte noire, mais en ayant soin de ne pas la laisser voir aux autres personnes, il fait semblant d'avoir pris une des deux cartes rouges et de rage il la froisse, et la jette par la fenêtre. Le teneur s'adresse alors à la poire et lui propose de parier seulement sur les deux cartes restantes, en lui faisant observer qu'il à beaucoup plus de chances de gagner. Dans l'esprit de la poire à qui il s'adresse, pour lui le leveur s'est grossièrement trompé, il a très bien vu où se trouvait la noire, et se laisse donc tenter en perdant forcément puis qu'il n'y a plus que deux rouges.

Lorsque l'équipe à jugé que la poire est à sec, elle prendra ses dispositions pour démurger, c'est-à-dire s'en aller. TGVLe teneur descend donc toujours, dans une station précédant celle où les barons descendront à leur tour, et qui ne correspondra jamais au terminus du voyage de la poire. Lorsque le teneur descendra, si la poire manifeste des intentions qui laisseraient présumer qu'on l'a volé et afin d'écarter toute tentative de violence ou d'appel de sa part, le côté du compartiment où descendra le teneur sera obstrué par les barons de manière à faciliter son départ. L'autre portière sera garder par un autre baron qui est généralement le dur de service de l'équipe et qui aura pour rôle le cas échéant, de le maintenir par la force.

N'essayez donc pas de compter sur vos connaissances techniques pour échapper aux subterfuges de ces escarpes, vous iriez au devant des plus graves ennuies, car vous auriez devant vous, toute une équipe de "durs".


BIBLIOGRAPHIE

  • CAVAILLE (A.) : Les filouteries du jeu. Révélations (Paris, 1875).
  • DEPAULIS (Thierry) : Un document important pour l'histoire des toutes premières cartes en France. The playing-Card (vol. X, n°4, Mai 1982, p. 118-120).
  • GAULTIER (Camille) : La prestidigitation sans appareils (Paris, sd. 1914).
  • HOGIER-GRISON : Le monde où l'on triche. Cercles, casinos, tripots et bonneteurs. (Paris, s.d.).
  • ROBERT-HOUDIN (Jean-Eugène) : Les tricheries des grecs dévoilées. L'art de gagner à tous les jeux. (Paris, 1861).
  • VILLIOD (Eugène) : Comment on nous vole, comment on nous tue (Paris, 1909).


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