Interview de David Copperfield

au Musée de la magie et de la curiosité

de Georges Proust

le Lundi 16 Octobre 1995


L'arrivée de David

David Copperfield: Tout d'abord, je pense que si nous sommes tous réunis ici ce soir, c'est que nous sommes tous animés d'une même passion et soucieux du respect dû à notre art. Ce qui se passe à Blois, au Musée d'Orsay et, ici, au Musée de la Curiosité et de la Magie, est très important pour la magie. Et vous pouvez être fiers que cela arrive dans votre pays. C'est pour cela que je suis parmi vous ce soir et que je suis très fier de vous (applaudissements).

Question: Comment êtes vous devenu magicien professionnel et comment avez vous obtenu votre premier contrat?
J'ai su très jeune que j'aimais la magie . Que vous soyez un musicien, un comédien ou un joueur de football, vous êtes en fait à la recherche que quelque chose qui vous rend différent et c'est le cas de la magie. Avant d'être magicien, j'ai commencé par la ventriloquie en voyant un ventriloque qui passait régulièrement dans une émission de télévision. En classe, je me donnais en spectacle et tous mes camarades m'applaudissaient. Je me suis alors dit que j'en ferai mon métier. Que vous soyez un artiste de scène ou de close-up, vous connaissez tous le sentiment ressenti lorsque vous donnez aux gens un peu de d'émerveillement. Lorsque j'ai réalisé mon projet magique pour des instituts médicaux, regarder la tête des gens pendant les tours était une chose étonnante. Vous êtes les seuls à pouvoir comprendre de quoi je parle. C'est comme une drogue. En ce qui concerne mon premier contrat , il faut savoir qu'en Amérique, la première chose faite par les gens qui connaissent 3 ou 4 trucs est de faire imprimer des cartes de visite. Sur ma première carte de visite figurait "Davino, le petit garçon magicien". Je faisais mon numéro pour 5 dollars. Pour les anniversaires, j'exécutais, entre autres, une routine de fleurs en musique - très viril! (rires) - et le tour des ampoules électriques dans la bouche.

Quelle est votre philosophie de la magie?
Dans la même lignée que le thème du respect, ma philosophie s'est développée au cours des années. Je considère la magie est une forme d'art aussi bonne que les autres. La danse flatte l'oeil, la musique charme l'oreille; la magie, elle, enchante l'esprit et c'est notre tâche de préserver son développement pour atteindre une sorte de respect. La magie peut émouvoir les gens, les toucher ou encore les faire rire. Ma philosophie de la magie est tout d'abord d'étonner. Mais si on s'arrêtait là, ce serait comme entendre juste quelques notes d'un morceau de musique ou comme le cinéma à ses débuts. La magie doit intégrer d'autres formes d'art comme l'a fait le cinéma. Ma philosophie de la magie est également que rien n'est impossible, qu'il n'y a pas de limites et que l'on peut toujours aller plus loin. Robert Houdin l'a démontré à son époque. Avant ma mort, un de mes buts est de donner à la magie ses lettres de noblesse. Et c'est en train de se produire ici, au Musée d'Orsay. C'est étonnant! Ca ne se produit pas aux états Unis. Je vais exporter l'idée en Amérique (rires).

Vous avez introduit depuis quelques années des tours de close-up dans vos spectacles de scène. Comment avez vous, au moyen de la vidéo et d'autres méthodes, surmonté cette contradiction apparente?
Doug Henning faisait du close-up sur scène, notamment le papier déchiré raccommodé retransmis sur un grand écran. J'ai tellement aimé cette idée que j'ai acheté cet écran à Doug ainsi que le droit de l'utiliser. Je pense que le close-up est un média très spécial et j'en fais de plus en plus dans mes shows. Je viens juste d'ajouter un nouveau tour de close-up dans mon spectacle: la routine des bagues enclavées de Himber que j'ai améliorée. J'ai l'habitude de développer ma magie en fonction des réactions du public que j'écoute avec attention. Cela fait 2 ans que je travaille sur cette routine car je voulais m'inspirer de ce que faisait Richard Ross dans sa routine de 3 anneaux. C'était pour moi, et malgré tout le respect que je dois à Dai Vernon, la première fois que quelqu'un exécutait la routine des anneaux chinois d'une manière très artistique; le tour n'était plus présenté comme un casse-tête. J'ai également toujours aimé l'idée très forte de Richard Himber, d'enclaver des bagues. La combinaison de ces 2 idées me semblait être une bonne chose à faire. Pour en revenir à votre question, je pense que du close-up exécuté sur scène est un très bon moyen d'expression. Les choses impossibles que vous pouvez faire pour une personne sont rendus accessibles à toutes les personnes du public grâce à la vidéo. Et dans chaque forme d'art, il y a un besoin d'adresse pure. Sur la chaîne musicale MTV, vous avez de grosses productions avec des effets spectaculaires. Mais le show le plus populaire est "Unplugged", où les musiciens jouent en direct sans aucun matériel électrique, mais juste avec des instruments acoustiques. Le close-up est la réponse à ça.

Quelle sorte de magie est selon vous la plus efficace?
C'est la plus simple à suivre pour le public. Les tours dont l'effet est compliqué m'amène que la confusion. La chose la plus difficile, c'est d'avoir l'idée la plus simple. Je suis continuellement à la recherche de cela, je commence toujours par quelque chose de compliqué que l'on essaye de rendre petit à petit plus simple. Le public m'apprend tout le temps que les choses les plus simples sont les meilleures. Ma façon particulière de travailler lorsque je crée en magie est de considérer qu'il n'y a pas de mauvaises idées. J'encourage tout le monde à me donner une mauvaise idée, j'essaye les choses les plus embarrassantes et stupides possibles. Une fois que vous aurez vu ce qui est pratique, ce sera ensuite le public qui censurera petit à petit les passages qui ne vont pas. Mais la leçon à retenir est toujours la même.

L'interview


Lors de vos tournées, quel a été le meilleur public que vous ayez rencontré et pourquoi?
Ce public! (applaudissements) Il y a toujours quelque chose à apprendre de chaque public. Certains sont très faciles, d'autres sont beaucoup plus difficiles à être chaleureux avec vous. Il suffit d'une personne qui fasse la tête au cours du spectacle pour que j'en perde le sommeil. J'essaie alors d'imaginer un moyen de la séduire. Mon deuxième passage en France a été 100 fois meilleur que le premier car j'y ai beaucoup réfléchi et j'ai compris qu'il y a un rythme particulier et un respect qu'il faut avoir pour le public. Les gens sont alors devenus plus relaxées. Certains publics, comme les Allemands, sont très faciles.

Vous avez depuis toujours présenté des grandes illusions dans vos spectacles télévisés. Comment avez vous pu concilié ce genre avec le coté intimiste du petit écran?
Faire de la magie à la télévision est une chose très difficile. C'est un combat que je mène à chaque fois pour que ça fonctionne. On essaye tout, parfois on réussit et d'autres fois non. Prenez la disparition de la statue de la Liberté à la télé. Que ça marche dans cette petite boîte et que ce soit convaincant est très très dur. Nous avons essayé de faire de longs plans séquence, nous avons cherché à placer la caméra dans des endroits où les téléspectateurs aimeraient aller sans pouvoir s'y rendre, la lumière doit être meilleure que pour un spectacle sur scène. Et à cause des erreurs que vous faîtes au début, vous apprenez à mieux mettre en scène, à mieux régler les éclairages et bien d'autres choses. Mais la seule règle importante, c'est que les téléspectateurs aient l'impression d'avoir été traités de manière "honnête", à la fois dans les choses qu'ils voient et psychologiquement. Il faut trouver un juste équilibre pour que les choses soient à la fois spectaculaires, nouvelles et différentes mais aient l'air, aussi, honnêtes.

Vos spectacles télévisés depuis quelques années comporte toujours un tour interactif demandant la participation du téléspectateur. Comment avez vous été amené à prendre cette voie et pensez vous continuer?
C'est une partie de mon spectacle qui a beaucoup de succès. C'est très frustrant car on dépense beaucoup d'argent pour monter des illusions spectaculaires et la chose dont les gens parlent le plus est un tour mathématique. Mais il faut quand même vous dire que j'ai passé des mois dessus. J'ai été dans des écoles avec ma cassette vidéo pour voir si c'était compréhensible par des enfants, j'ai changé le script mot par mot afin d'être sûr qu'il sera compris et suivi par tous.

Comment créez vous vos illusions?
Tout d'abord, j'ai besoin de trouver quelque chose qui me touche vraiment. Par exemple, il y avait un thème que je n'avais pas abordé: les fantômes. J'ai un musée, dont vous avez peut-être entendu parlé, qui contient des tonnes d'affiches avec des fantômes et des esprits. C'est un thème de la magie que tout le monde a abordé sauf moi. J'ai donc commencé à étudier tout ce qui avait été fait avant sur les fantômes, tout ce qui existait sur le sujet: les films, les effets spéciaux, les livres, les vidéos, toutes les routines de cabine spirite, ... Il y avait quelque chose qui n'avait pas de sens pour moi. Pourquoi les esprits venaient ils de cette cabine spirite ou de cette boîte étrange? Où est la logique? J'en suis donc arrivé à l'idée de cette légende d'une maison qui avait brûlée. C'est les restes de cette maison qui constituait la cabine spirite. La maison Barclay n'a jamais existé. J'ai recherché des photos et des dessins de maisons qui pouvaient convenir. Nous avons é abli une liste de tous les effets spirites auxquels on pensait. Au cours de la dernière tournée, nous avons construit différentes maquettes en bois (David Copperfield nous montre des dessins et schémas de ces maquettes de la maison hantée). Petit à petit, nous sommes arrivés au résultat final de cette nouvelle illusion dont je suis très fier.

Quelle est votre opinion sur les débinages de tours dans la presse ou à la télévision?
Débiner un tour est un moyen facile de se faire de la publicité. Mon expérience m'a montré que les gens n'y font pas attention. Je n'aime pas ça, je n'aime pas que ma lévitation soit expliquée dans le Times Magazine. Malgré cela, j'ai présentait cette lévitation sur jet d'eau 2 semaines plus tard sur scène et personne n'a réagit. Les gens le lisent puis l'oublient. Bien sûr il faut combattre ça, mais ça ne signera pas l'arrêt de mort de la magie. Les règles tacites consistant à respecter les secrets des magiciens est toujours la meilleure attitude pour nous mais aussi pour le public. Il y a toujours eu des idiots qui veulent bien baisser leur pantalon. Si vous regardez dans l'histoire de la magie, vous trouverez des exemples de tours dévoilés, même du temps de Robert Houdin. Il n'y a rien de neuf! On peut également prendre ça de manière positive et y trouver la motivation pour aller plus loin.

Remise d'un cadeau de James Hodges
Cadeau offert à David Copperfield par James Hodges


Quel est votre magicien favori?
Le meilleur magicien que j'ai jamais vu était Richiardi. C'était un très bon acteur dramatique; il n'a pas créé beaucoup de tours de magie mais sa performance sur scène était magnifique. Je n'ai pas rencontré dans ma vie quelqu'un qui était à la fois très créatif et grand performer. Mais ça n'enlève rien du respect que l'on peut avoir pour les uns ou les autres. Mes idoles étaient Orson Wells qui était un grand artiste sur scène et un grand créateur dans son travail, Gene Kelly et Fred Astaire magnifiques sur scène et également créateurs - ils commençaient à partir d'une page blanche -, Walt Disney, ... C'étaient les "héros" de mon époque. Je rêve de revenir dans le temps et de voir Robert Houdin, qui était à la fois un grand créateur et un grand artiste sur scène. J'aurai aimer voir ça.

Certains de vos tours nécessitent l'emploi de compères. Cela ne vous pose-t-il pas de problèmes vis à vis de votre public de fans qui revient voir plusieurs fois votre spectacle?
Des compères! je n'emploie pas de compères! (rires) Je pense que ça vaut le coup d'avoir une salle de 1000 compères pour tromper juste une personne. Je n'irai cependant pas aussi loin mais je pense que l'effet est l'essentiel, la méthode est bien moins importante. Si vous choisissez d'utiliser des compères, vous avez sous votre contrôle tous les éléments pour être sûr d'obtenir à chaque fois le même effet. Dans le cinéma, on parle d'accidents heureux pour qualifier les moments où se produit quelque chose d'inattendu mais tellement formidable que la prise est gardée. Il y a 8 ans à Cleveland alors que j'étais sur scène, coupé en deux dans le tour de la Scie de la Mort , quelqu'un, au fond de la salle, a crié: "Bouge tes pieds". J'ai alors dit que j'allais essayer et j'ai fait bougé mes pieds. Le public est devenu fou. Depuis ce moment, à chaque représentation, quelqu'un crie du fond de la salle : "Bouge tes pieds"...

Quels sont pour vous les principaux défaut des magiciens?
Je pense que l'on accepte trop rapidement le "non" comme réponse. Les magiciens se satisfont souvent de peu. L'engagement à créer une nouvelle magie, à faire progresser cette forme d'art, consistue la chance de la magie pour devenir meilleure. A chaque congrès de magie, vous voyez le plus souvent les mêmes chose, encore et encore. Si vous allez à un congrès de music-hall, vous verrrez que les gens ont de nouvelles chansons.

Comment concevez vous une illusion comme "Flying"? Quelles sont vos sources d'inspiration? Quel a été le rôle de votre équipe? Quels en ont été les différentes étapes? Est-elle protégeable?
"Flying" a été conçu parce que voler a toujours été mon rêve. J'ai donc utilisé un peu de technologie, et avec mon équipe on l'a réinvitée puis testée. Nous sommes arrivés aux moyens de prouver que rien ne m'était attaché, la boîte de plexiglass était mon invention. Ce qui fait l'illusion, c'est de prouver que je ne suis attaché à rien. Beaucoup d'essais en l'air, des années à louer des théatres pour la mise au point, apprendre à atterir, à visualiser l'atterissage sans tomber. Pendant mes vacances, j'allais à la piscine pour chercher des positions dans l'eau qui étaient filmées par une caméra. J'ai impliqué beaucoup de mes émotions dans la création de cette illusion.

Avez vous réfléchi à un système permettant la protection juridique d'un numéro, comme par exemple la SACEM pour la musique?
J'ai eu des batailles juridiques. J'ai eu quelques succès, parfois les dépenses engagées dans ces batailles ne les justifiaient pas. Il n'y a malheuresement pas de moyen facile pour protéger la magie.

Qu'est ce qui vous énerve le plus ou au contraire vous amuse le plus dans le monde magique?
Ce que j'aime le plus, c'est cette sorte de camaraderie. Quand je n'étais alors qu'un enfant, les gens qui me conduisaient d'un endroit à un autre étaient les meilleurs magiciens de l'époque. Je ne sais pas pourquoi c'est comme ça dans le monde de la magie mais les gens vous ouvrent la porte de leur maison, même vous leur êtes étranger. Ce que j'aime le moins, c'est le plagiat qui existe en fait dans toutes les formes d'art. Si vous regardez les gens qui copient, vous vous apercevez qu'avec le temps et l'énergie qu'ils consacrent à copier, ils ont le potentiel pour inventer quelque chose. Mais le fait d'être copier me motive encore plus pour inventer de nouvelles choses.

Quels sont vos projets?
Je travaille actuellement une illusion avec un laser qui coupe quelqu'un en 2. Je dois le mettre au point rapidement avant que Yves Barta ne me le copie (rires). Je travaille également sur une illusion mettant en scène un ouragan à l'intérieur du théâtre.

Vous avez monté un musée à Las Vegas. Sera -t il un jour ouvert au public?
Vous êtes tous les bienvenus à mon musée pour peu que je sois en ville à Las Vegas. Ce n'est pas une fausse invitation, c'est une vraie promesse. Le musée est ouvert aux magiciens et à la presse. C'est un endroit étonnant pour le respect de la magie en Amérique, comme ici pour la France. C'est important culturellement. Dès que le public sera plus concerné, je prendrais des parties de ce musée et je ferais des expositions à New York, Chicago, comme vous l'avez fait au Musée d'Orsay. La magie sera mise à coté d'autres formes d'art.

Pourriez vous nous formuler quelques conseils tirés de votre expérience? Comment voyez vous l'évolution de la magie dans les 10 ans à venir?
Je fais 500 spectacles par an. Chaque show est filmé et analysé afin d'en retirer l'expérience. Ainsi, chaque erreur ou impondérable est disséqué. Quand je suis sur scène et que je ne dois rien dire au public, mon micro est coupé pour le public mais pas pour mes 2 assistants qui sont en coulisses. Je leur dit en direct toutes mes impressions, les choses qui ne vont pas ou les idées qui me viennent sur le moment et ils en prennent note. La magie devrait se développer, voire exploser dans les 10 ans à venir, je n'ai mis que le pied dans la porte qui mène à cette voie.

David et Fred Derik
David Copperfield et Votre Serviteur