LEs Illusionnistes, la Femme et l'Amour


De Maurice SALTANO
Dessin de James HodgesSauf lors de rares exceptions, la vie sentimentale des grands magiciens du temps jadis reste généralement avare d’événements susceptibles d’alimenter notre rubrique.

Le maître Robert-Houdin semble avoir observé une fidélité rigoureuse vis-à-vis de ses deux épouses successives.

Houdini offrait avec Bess l’image d’une union sans nuage confirmée en public et sur certains films de l’époque par de fougueux baisers sur la bouche qui permettaient au roi de l’évasion de se procurer secrètement au dernier moment les clefs qui lui permettraient de se libérer.

Marius Cazeneuve était encore dans la force de l’âge lorsqu’il devint, à Madagascar, médecin particulier de la reine Ranavalo (23 ans) mariée à un vieillard pour raison d’état. Pierre Benoit consacra son roman “Le commandeur” aux relations intimes de la souveraine et de son “conseiller-illusionniste.”

Chez les mentalistes, le seul numéro érotique à notre connaissance fut celui de Naga et O’Shan. Les spectateurs volontaires (et ravis) pensaient à une partie des vêtements de Naga qu’elle devait deviner et retirer ce qui donnait lieu à un diabolique striptease.

Bénévol le célèbre “coupeur de têtes” était, d’après son biographe Jacques Garnier, un amant infatigable aux amours multiples dignes du “Guiness Book of Records”.

L’autrichien Döbler “l’enfant chéri de la magie” put prendre une retraite anticipée, fortune faite dans la production de films auxquels les censeurs attribuent de nos jours un X protecteur.

L’allemand Kalanag déshabillait en ombre chinoise la sculpturale Gloria derrière un écran transparent en vaporisant sur le public des parfums raffinés.

Chez les fakirs de music-hall, Scarha Bey, âgé et un tantinet ridicule, s’entourait de “fakirettes”, jeunes femmes aux seins nus qui donnaient un nouvel intérêt à ses exploits surannés.

Fée Eleisa fut une superbe magicienne dont les formes insolentes n’étaient recouvertes que par quelques bijoux de pacotille. Il était facile d’écrire, pour les journalistes, qu’elle ne pouvait rien cacher dans ses manches.

Jan Madd considère comme un péché de jeunesse une série de photos qu’il fit pour le journal “Lui” en compagnie de belles filles nues aux positions équivoques. Nous lui donnons sans réserve notre absolution.

Sacha Guitry avait écrit et joué en 1917 la pièce de théâtre ayant pour titre “L’illusionniste”. Un magicien se trouvait engagé, après son spectacle sur scène, pour une représentation privée chez des particuliers. A sa surprise il n’y avait qu’une seule spectatrice et son numéro d’illusion se terminait dans la chambre à coucher de son employeuse.

Lorsqu’on examine les publications magiques en langue française on constate avec l’arrivée de l’illustration, en ces lointaines années, une absence totale d’érotisme, voire de féminité.

En France, il semblerait que le premier dessinateur qui taquina Eros du bout de son porte-plume ait été Dickmann-Minalono qui, assurant lui-même l’iconographie de ses catalogues aux environ de 1930, déshabilla gaillardement jusqu’à la ceinture les nombreux personnages féminins qui figuraient dans les grandes illusions qu’il proposait à la vente. Dessin de JacquinotSes dessins ont un charme kitch et naïf et ses petites femmes pratiquèrent bien avant l’heure la mode du top-less.

Par la suite d’autre catalogues magiques furent édités par Mayette mais son illustrateur Robert Veno était d’une sévérité monacale. Il s’égara parfois à représenter une femme en maillot deux pièces avec une telle sécheresse qu’il eut fallu un énorme travail d’imagination pour fantasmer un tant soit peu. Signataire d’ouvrages sur les grandes illusions et iconographe de la revue “Le Magicien”, Robert Veno reste un modèle d’austérité. Un illustrateur entra dans la revue, Jean Boullet, qui savait avec son crayon, glorifier la beauté du corps humain. Dans le même périodique arriva Marcel Jacquinot qui se révéla assez sage dans ses premières illustrations mais devint rapidement polisson pour décrire par le dessin des “Grandes illusions”, domaine où il fut sans doute le meilleur documentaliste de la littérature magique.

Il faut dire que parallèlement arrivait tout droit de la presse dite “coquine” où il exerçait sous divers pesudonymes, un graphiste exceptionnellement érotique et gavé de talent : James Hodges. Ses dessins continuent de nos jours à regorger d’imagination et d’inventivité en un hommage permanent à Eve et à sa beauté. Hodges avait débuté comme créateur de costumes pour chorégraphies, mais, s’il habille bien les femmes, il les déshabille merveilleusement (les personnages féminins illustrant ses derniers ouvrages traitant des grandes illusions pourraient damner un cartomane).

Hodges et sa vision de la partenaire

Ouvrant une boutique de magie, Dominique Webb fit illustrer son catalogue par Hodges ajoutant quelques photos parmi lesquelles une fille vêtue d’un seul “bikini” pour présenter une canne et une ombrelle, et une autre avec un simple string pour “la tête aux couteaux”. Par la suite Webb n’hésita pas à utiliser les services d’une stripteaseuse pour son numéro d’hypnose, ce qui n’était pas désagréable.Le truc de Guy Bert

Le marchand de trucs Guy Bert dont le magasin se trouvait en étage à côté des Folies Bergère se laissa aller à proposer à ses clients “Le fluide qui déshabille”. Sur scène au congrès de l’I.B.M. à Southport (Angleterre) il fit disparaître les vêtements de sa partenaire.

L’arrivée de “Mad Magic” parmi les publications fut un événement qui défrisa les intégristes de l’illusionnisme “bon chic-bon genre”. Sous l’œil bienveillant et goguenard de l’éditeur Michel Hatte, James Hodges fit sauter les limites de la bienséance avec ses dessins éclatant de santé virile tandis que Jean Merlin, paillard à lui seul comme un régiment de zouaves, laissait déferler dans ses textes une foule d’idées neuves, véritable bain de jouvence pour la vieillissante “presti”. Ce nounours aux révoltes dévastatrices, ayant parfois du mal à dissimuler ses tendresses débordantes, fut à l’époque la locomotive des jeunes générations de magiciens français.

Désormais Eros est entré dans les numéros d’illusions et s’y trouve très à l’aise. Boris Wild conduit tendrement les ébats d’une imaginaire et pulpeuse bouche féminine. Nombreux sont les spectateurs qui, en leur subconscient, caressent la boule zombie de Melinda tandis que David Copperfield entraîne ses admiratrices en des rêves aux saveurs de fruits défendus.